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Pourquoi la gauche n’a pas besoin de la psyévo ou de la génétique comportementale

Last updated on 13 juin 2023

Cet article était originellement une réponse sur Facebook vis-à-vis d’une vidéo de Stéphane Debove 1Dont on pourra consulter la retranscription et les sources sur son site. sur les rapports de la gauche et de la psychologie évolutionnaire (psyévo/évopsy pour faire bref). Je dois avouer que je suis mal à l’aise à l’idée de me ramener avec une rhétorique de gros cerveau bac+8 et de balancer une pavé de texte à la tête de mes interlocuteurs et interlocutrices sur un sujet sensible vis-à-vis duquel, je pense, il est important d’être précis et rigoureux. Facebook n’est pas le lieu pour ça et je préfère donc prendre mon temps pour regrouper, dans ce billet, les sources que je connais sur le sujet et préciser ma position par rapport à ces disciplines. Il sera susceptible d’évoluer avec le temps, les retours et les arguments que j’aurais l’occasion de lire.

Les défenseurs des approches biologisantes du comportement humain font du pied à la gauche depuis un certain temps déjà, tant aux États-unis d’Amérique qu’en France. Ce billet trouve son origine dans une discussion sur une vidéo de Stéphane Debove, mais le même genre de discussion aurait pu naitre en parlant, par exemple du livre de Kathryn Paige Harden « La loterie génétique », qui veut vulgariser le champ de la génétique comportementale. Il est très facile d’être séduit par leurs discours si on ne mesure pas l’ampleur du problème, j’en ai moi-même fait les frais plus jeune. Cependant, derrière les discours progressistes dont elles se parent auprès du grand public, il s’agit en réalité de disciplines marginalisées dans le monde de la recherche, aux standards méthodologiques faibles et sans aucun égard quant à la réception de leurs résultats et leurs conséquences sociales. Une critique que l’on peut faire à la fois à la psyévo et à la génétique comportementale, autant faire d’une pierre deux coups.

Si je devais résumer en deux axes simplifiés les deux critiques majeures à retenir, je les formulerais ainsi:

  • Premièrement la psyévo et la génétique comportementale sont des sciences bas-de-gamme aux prétentions élevées et à aux qualité méthodologique et théorique très faibles. Leurs hypothèses de travail sont souvent mises à mal par les données fournies par d’autres disciplines, par exemple la sociologie, les sciences du comportement animal (éthologie) ou les sciences biologiques aux standards plus élevés comme la neurologie ou l’endocrinologie. De plus, leur cadre théorique est extrêmement couteux sur le plan argumentatif. Il en résulte qu’au cours du temps, leurs résultats sont généralement démontrés faux, ou inconclusifs. Les chercheurs et chercheuses en psyévo et génétique comportementale doivent alors réduire drastiquement leurs prétentions scientifiques, passant de « bases biologiques clairement établies du comportement », souvent publiés dans des articles sensationnalistes, à des « corrélation faibles suggérant un effet », ou trouver de nouveaux outils prétendant corriger les défauts des méthodologies précédentes. Cette seconde option ayant l’inconvénient d’augmenter la complexité de l’argumentation nécessaire à la défense de l’importance des effet prétendus, étant alors admis que les effets sont plus faibles qu’attendu.2Les amateurs de fallacies y reconnaitront peut-être une tactique de déplacement des buts (moving the goalposts).
  • Ensuite, quand bien même les résultats de la psyévo et de la génétique comportementale seraient avérés, ces derniers n’apporteraient absolument rien aux mouvements politiques de gauche. Et il est alors important de dissiper un malentendu: Il ne s’agit pas de nier la biologie, ce qui n’a pas beaucoup de sens, mais de comprendre que l’origine des différences de traitement sociaux des individus affecte assez peu les motivations et les moyens à mettre en place pour y pallier. En clair, peu importe que des différences constatées en performances scolaires ou des états de santé moyens aient des origines environnementales ou génétiques si la réponse sociale n’est de toute façon pas égale pour tous et toutes (accès aux soins, au logement, à l’éducation etc). Et là où la psyévo et la génétique comportementale peinent à proposer des causes sur lesquels jouer autrement que par eugénisme, les sciences de l’éducation, la génétique médicale ou la sociologie mettent en évidence non seulement des effets indéniables, mais aussi des leviers clairs sur lesquels jouer pour réduire les inégalités.

Dans ce billet j’essaierai d’adresser les commentaires qui m’ont été faits par la personne à l’origine de cette discussion en organisant tout le (volumineux) matériel de vulgarisation produit par d’autres collègues, scientifiques pour la plupart. Iels seront dûment nommé et je ne peux que vous recommander d’aller les suivre et lire leurs travaux. Par soucis d’organisation et pour mettre en avant le travail des camarades, les ressources à lire pour comprendre chaque paragraphe seront mises au début de ces derniers. Le plan sera d’organisé les deux axes définis plus haut pour faciliter la lecture.

Les faiblesses méthodologiques de la psyévo

Ressources3Ne vous sentez pas obligé·e·s de tout lire d’un coup. Gardez- ça sous le coude, allez-y quand vous aurez le temps et l’envie.:

  1. Article de Kumokun sur les fondements théoriques de l’évopsy: version courte et version longue.
  2. Une série de trois articles de Ce N’est Qu’une Théorie (CNQT) sur l’adaptationnisme et l’évopsy:
    • Un premier article qui explique que les mécanismes de la sélection naturelle ne se réduisent pas à l’adaptationnisme donc l’évopsy fait son pilier.
    • Un second article montrant en quoi l’évopsy est un cas d’école d’éceuil adaptationniste.
    • Enfin un dernier article illustrant comment les réponses de Stéphane Debove tapent à coté des remarques qui lui sont faites.
  3. Un autre article de CNQT qui explique en quoi la dichotomie inné/acquis ou nature/culture telles que ces problématiques sont comprises, bien qu’elles s’en défendent, pose très mal le problème et quelles en sont les implications politiques.
  4. La vulgarisation en vidéo par Le Malin Génie (LMG) des problèmes de l’évopsy et de la génétique comportementale, aussi bien de leurs origines mais aussi de leurs organisations actuelles, tel que que présentés par Aaron Panofsky4La thèse en sociologie des sciences de Panofsky portait déjà sur l’origine et l’organisation de la génétique comportementale 10 ans avant la publication de son livre, qui en est donc une version enrichie. Il est aujourd’hui professeur à l’UCLA et travaille notamment sur les discours suprémacistes blancs visant à mélanger la génétique rigoureuse avec des pseudosciences racistes. Il travaille aussi sur l’importance pour les chercheurs de prendre en compte la réception de leurs travaux à ces égards. dans son livre Misbehaving Science.
  5. La critique par Nathaniel Comfort5Professeur d’histoire de la médecine à la John Hopkins University, spécialiste de l’histoire de la recherche en génomique et ses lien avec l’eugénisme américain. du livre Blueprint de Robert Plomin pour Nature, malheureusement en anglais, qui montre les manques typiques du livre, caractéristiques de la génétique comportementale.
  6. Notre traduction commune avec Omar (de LMG) et Quentin Gervasoni de la critique du livre de Kathryn Paige Harden sur la lotterie génétique par Kévin Bird6Généticien et biologiste de l’évolution, post-doctorant à l’université de Californie Davis.. La version anglaise du texte est disponible ici.
  7. Un thread Twitter de Jérémie Naudé, neurobiologiste au CNRS, critiquant spécifiquement la vidéo de Stéphane Debove point par point. Pour aller plus loin, un autre thread sur la notion de « plasticité cérébrale », souvent mal comprise.
  8. Un article de Omar (LMG, encore) sur l’histoire du racisme scientifique et sa présence encore vive dans les sciences biologiques.

Écoute l’entièreté de la vidéo. Stéphane Debove revient sur chaque point problématique pour expliquer les détails et pourquoi la psyévo est autant mal vu, et si ces critiques sont justifiées

Tout d’abord évacuons quelque chose de récurrent: il est assez peu charitable de partir du principe que des gens prenant le temps de rentrer dans l’arène du débat, certain·e·s avec des compétences diplômées dans le domaine, n’ont « pas compris » le propos et n’ont pas vu l’entièreté des arguments. Ensuite nous sommes assez habitué à cette rhétorique puisqu’elle est assez courante dans ces champs controversés: noyer le poisson auprès du grand public en shuntant les critiques techniques et en se concentrant sur les implications sociales pour faire croire qu’on a répondu. Illustrons les problèmes avec ce comportement une bonne fois pour toutes.

Il est important pour le public de comprendre deux choses: d’une part quelles sont les critiques auxquelles Stéphane Debove et les défenseurs de l’évopsy acceptent de répondre et quelles critiques ils laissent de coté, d’autre part que la controverse sur la pertinence de l’évopsy en tant que discipline scientifique ne se règlera pas à l’échelle de la vulgarisation. Mais prenons un exemple: dans sa section « Pourquoi ces recherches dérangent? » Stéphane Debove prétend que les critiques de fond portent principalement sur le fait que qualifier des comportements de biologique serait problématique uniquement parce que ce serait naturaliser et considérer les comportements figés. Alors que, même indépendamment des aspects sociaux, il ne revient jamais sur la logique de base de la psyévo elle même critiquée. En pratique, ils font justement le raisonnement inverse en partant du principe que les comportement ont une base fondamentalement inchangeable car naturelle et donc que des « mécanismes biologiques » les expliquent. Or, d’une part ces mécanismes sont postulés mais jamais démontrés, d’autres part les données vont à l’encontre du caractère transculturel des comportements étudiés, aussi bien à travers le temps qu’à travers les cultures. On se retrouve par exemple avec des chercheurs voulant expliquer « la préférence de la couleur rose par les femmes » en postulant l’existence d’un mécanisme évolutionnaire qui rendrait la cueillette de baies plus simple.7Je vous jure que c’est dans l’article: « Consistent with this interpretation of the adaptive significance of color vision for foraging, memory scores in humans for object locations in a visual array (i.e., a gathering analogue task that typically shows a female advantage) appear enhanced when objects are red on a green background compared to green on red background (Hellige & Cumberland, 2001; Roth & Hellige, 1998) » En réalité la recherche en psychologie plus récente semble confirmer d’une part que les préférences en termes de couleurs seraient acquises très jeune par les enfants et que ces préférences ne sont pas universelles. Et ceci ne prend même pas en compte l’apport de l’histoire de l’art sur l’évolution au cours du temps du rôle et de la perception des couleurs dans les sociétés (majoritairement occidentales, avouons-le).

Les invalidations régulières de ces aprioris, qui illustrent les énormes biais de leurs raisonnements ainsi que la faiblesse récurrente de leurs bibliographies, ne sont jamais mentionnées par les chercheurs en évopsy. Au contraire, des résultats publiés sont présentés tels quels alors qu’ils sont encore vertement critiqués par la communauté scientifique qui se permet, et c’est son rôle, de questionner les hypothèses de travail ou les protocoles employés. Récemment on peut penser aux corrections importantes que Nicolas Baumard,8Un des directeurs de thèse de Stéphane Debove et ses co-autrices ont dû apporter à leur article sur « la confiance perçu » analysée par IA à partir de peinture de la renaissance. Leur article a en effet fait parler de lui comme un cas d’école de travail bâclé dont les hypothèses sont balayées par une connaissance minimale de l’histoire de l’art. Non seulement les corrections que les auteur·ice·s ont dû apporter sont remarquables par leurs importances, quelque chose de rare sur des articles scientifiques, mais elles n’ont pas empêché Baumard de citer ce même article plusieurs fois comme du travail validé et reconnu (la moitié de ses citations actuelles) avant la publication de sa version corrigée, beaucoup plus prudente sur ses conclusions. Par contraste, l’article se retrouve plutôt cité comme exemple d’article pouvant faire plus de mal que de bien, notamment en raison la légèreté de son protocole mais aussi de son indigence par rapport aux conséquences sociales des résultats qu’il défend.

Enfin, une habitude des évopsy et des généticiens comportementaux est de ne pas citer les critiques directes dans leurs travaux de vulgarisations, mais uniquement de citer les critiques rapportées par d’autres défenseurs des approches biologisantes. Ceci se voit particulièrement dans les sources de Stéphane Debove sur le sujet où les « critiques » de la psyévo sont celles présentées par… des défenseurs de la psyévo (Hagen, Pinker, Singer etc). Dans le cas de Stéphane Debove, aucune de ses sources sur ce sujet n’est d’ailleurs plus récente que 2005. Sa biblio est, comme souvent, un peu légère. Par ailleurs il est intéressant de noter que Peter Singer, la seule source que l’on peut classer à gauche9En étant charitable sur l’emploi du terme « gauche » et en oubliant ses positions clairement eugénistes. a été critiquée pour avoir dépeint les positions de gauche de manière caricaturale dans son livre sur le sujet. Et ceci ne fait qu’illustrer la présentation des critiques techniques par Stéphane Debove, parlons maintenant de sa manière de répondre.

Les critiques considèrent que que les explications adaptationnistes sont caduques par essence, que les fonctions cognitives ne sont pas observables, etc… et Stéphane Debove revient justement sur ces points.


Je vais me permettre de citer directement un des articles de réponse à Stéphane Debove mentionné plus haut:

« … ma critique n’a jamais été qu’on ne devrait pas expliquer la plupart des traits du vivant à l’aide de l’évolution biologique, elle est qu’on considère par défaut, pour un trait qu’on n’a pas encore étudié, qu’il est adaptatif, et donc qu’on cherche en premier lieu une explication qui soit adaptative pour ce trait. En gros : évidemment, qu’à grande échelle, la plupart des traits auront une explication adaptative. »

Ce n’est qu’une théorie – Réponse à la réaction de Stéphane Debove

On retrouve en fond une des remarques esquissée dans la première partie: exclure les autres explications pour considérer par défaut que les comportements observés ont des causes spécifiques, fondamentalement explicable par des mécanismes biologiques, et que l’existence de ces derniers s’expliquerait uniquement ou presque par le prisme de l’évolution humaine et surtout de la sélection naturelle. Et pour illustrer le problème, je pense qu’un exemple vaut mieux que mille mots.

Le travail de thèse de Stéphane Debove porte sur l’évolution de la morale humaine et les modèles mathématiques permettant de rendre compte numériquement de cette évolution. Ces modèles sont des modèles multi-agents issus de la théorie des jeu. Très rapidement, ils consistent à programmer des individus fictifs (pensez à des sims) qui « interagissent » entre eux et se « reproduisent ». Ils supposent essentiellement deux choses: d’une part une mesure du sens de la justice des sims dans leurs interactions, d’autre part une transmission de cette mesure entre les génération avec quelque variations. L’interprétation de ces mécanismes de transmission et de cette mesure sont laissés hors du cadre des modèles mathématiques, et donc à la libre justification des chercheurs. C’est à dire qu’il n’y a pas de raison de supposer à priori que cette mesure et cette transmission dépendent des caractéristiques biologiques des agents concernés: les modèles mathématiques fonctionneraient aussi bien pour modéliser des comportements de robots qui apprendraient à se comporter en imitant avec plus ou moins de succès la génération précédente. En conséquence, la partie biologique de sa thèse est un vernis superflu et la justification de l’existence de « programmes cognitifs » (le terme technique étant modularité massive) pour expliquer le lien entre modèle et théorie de l’évolution n’est jamais apportée. Et je vous renvois à l’article de Kumokun sur ces questions.

Quand à l’évidence de l’existence de tels mécanismes en se fondant sur l’éthologie des autres espèces, il n’y a pas non plus de raison scientifique de croire que de tels modules existeraient chez les autres animaux ou que l’intégralité des comportement observés se transmettraient de manière génétique. Il n’est pas rare de voir un animal élevé parmi les membres d’une autre espèce se comporter comme cette dernière. De plus l’éthologie elle même remet en question de plus en plus d’idées reçues sur les comportements animaux et, par exemple, leurs différence entre les sexes. Ainsi quand Stéphane Debove mentionne un article qui parle des « origines biologiques des différences de comportement sexuels entre H et F » il est fort dommage qu’une méta-analyse soit sortie montrant que même chez les animaux non-humains, ces différences sont apparemment marginales si elles existent. La démarche inverse , à savoir chercher à projeter les comportements humains sur nos cousins primates, s’est déjà illustrée par la faiblesse des études concernées. Odile Fillod avait, il y a presque 10 ans déjà10Ce billet présente d’une part les deux études sur le sujet et d’autre part la manière dont elle ont été récupérées dans les médias et dont leurs résultats ont été extrapolés. Je mentionne surtout ici la première partie., montré les difficultés à démontrer les difficultés à démontrer des préférences indépendantes de la socialisation chez des singes rhésus avec… des jouets humains. Les difficultés viennent aussi bien dans le choix des singes, les rhésus étant de lointains cousins, que dans la définition des catégories ou l’interprétation des résultats. Aujourd’hui, la recherche rétropédale aujourd’hui sur ses conclusions précédentes, mais n’apporte toujours aucun élément de réponse sur la question de l’existence de mécanismes biologiques fondamentaux.

Donc encore une fois, même les données ne soutiennent même pas les hypothèses de travail des évopsy et des biologistes du comportements, et le vernis de biologie qu’ils mettent sur leur résultats n’est ni nécessaire, ni justifié. Ils constatent des différences et postulent des mécanismes biologiques sur la base de rien. La gauche ne nie pas la biologie, mais eux cherchent à en mettre là où elle est superflue.
Je noterai enfin qu’une partie de la critique vient de chercheurs en biologie de gauche dont on ne va pas dire qu’ils nient leur discipline (ou alors il faut vraiment être con), à laquelle les difficulté à répondre trouvent une raison simple: Stéphane Debove et les psychologues évolutionnaires ne sont pas biologistes. Leur branche de recherche vient essentiellement de la psychologie et se réclame de la biologie. Et c’est en réalité une discipline marginale en biologie comme en psychologie.

Si quiconque cherche à savoir à quel point ce domaine est solide c’est d’ailleurs très facile, il a énormément sourcé sa vidéo.

Pour cette partie je vais faire bref et assez personnel. Je pense que la récente mode dans la vulgarisation de mettre en avant l’esprit critique comme compétence individuelle à développer a fait beaucoup de mal. Comme mentionné plus haut, les problèmes relatifs à la psyévo et à la génétique comportementale ne sont pas que des problèmes d’implications sociales mais aussi des problèmes techniques. Et il est presque impossible d’en saisir la portée pour un public qui n’a pas le temps d’approfondir ces questions. En effet le bagage nécessaire en biologie, en histoire, en épistémologie et plus généralement en connaissances scientifiques, pour saisir toute l’étendue du problème est colossal et le temps nécessaire à son acquisition tout aussi important. Je n’ai pas moi-même la prétention de saisir toutes les subtilités des questions qui se posent autour de ces pratiques et doit me reposer, moi aussi, sur l’opinion de camarades plus au fait de ces questions. C’est normal.

Il s’agit de quelque chose qui m’a mis en porte-à-faux par rapport à un certain discours ambiant dans les sphères de l’esprit critique (et notamment zététique): lire des études scientifiques, ça s’apprend, et cet apprentissage est long. De plus les productions scientifiques doivent être comprises dans leur contexte, et ces contextes sont dépendant des disciplines, des conditions de productions etc. Quelque chose qui, à mon grand regret, n’est pas accessible au grand public et s’acquière essentiellement par la pratique scientifique… et encore pas toujours.11Sur ces points, je peux recommander aux lecteurs et lectrices intéressé·e·s les lectures de « La Science en Action » de Bruno Latour ou « Personal Knowledge » de Michael Polanyi.

Il est cependant important de noter, à la suite de la vidéo du malin génie, ou du livre de Panofsky dont ils parlent, que ce point est justement un écueil dans lequel la communication grand public de l’évopsy et de la génétique comportementale cherchent à tomber: à défaut d’une résolution des controverses sur le plan scientifique, elles ont besoin d’une adhésion du public. Or il est important de comprendre que le public ne peut pas évaluer la qualité de ces recherches sur la seule base des informations qu’ils en donnent. La stratégie est un peu la même que celle mise en place par les marchands de doute industriels, les disciplines survivant dans un état de controverse improductif dans le milieu scientifique, et jetant le doute auprès du grand public pour obtenir son soutien.

La psyévo et la génétique comportementale peuvent-elles poser des bases argumentatives solides pour la gauche?

C’est le marronnier de Erik Turkheimer et son étudiante (maintenant collègue) Kathryn Paige Harden. Mais c’est faux, la gauche n’a pas besoin de la psyévo et des sciences du comportements parce que ces dernières ne servent strictement à rien. Je vous renvoie à la traduction de la critique de Kevin Bird pour AOC qui montre bien que le livre récent de Paige Harden peine à convaincre de l’utilité de ces travaux tout en donnant des billes à des réactionnaires. Plus généralement voici quelque points qui méritent d’être spécifiquement développés.

La gauche nie la biologie en refusant les résultats de l’évopsy et de la génétique comportementale.

C’est une affirmation forte mais en réalité étonnamment creuse. Comme elle est assez courante essayons dans un premier temps de la décortiquer. Aux dernières nouvelles personne à gauche n’a réussi à quitter son corps afin de ne devenir que pur esprit. Bien au contraire, les philosophies matérialistes modernes sont plutôt ancrées à gauche, et à la suite du marxisme sont les premières à mettre en avant les conditions matérielles dans lesquelles les corps évoluent. Il est toujours bon de rappeler que c’est à gauche qu’on met en avant l’importance pour tous et toutes de manger, boire, dormir, gérer ses menstruations ou faire caca dans les meilleurs conditions possibles, choses apparemment triviale mais qui ne sont pas satisfaites pour tout le monde. Il est dont relativement surprenant d’entendre régulièrement que la gauche nierait la biologie alors qu’elle cherche au contraire à permettre à tout un chacun de subvenir à ses besoins les plus élémentaires.

Car derrière le mot « biologie » ne désigne pas la biologie des individus mais la description qui en est faire dans le monde académique par certaines disciplines avec divers degrés de consensus. Et ces descriptions, on peut critiquer leur contenu. C’est entre autre comme ça que les connaissances scientifiques évoluent et c’est un processus normal de la démarche scientifique. Les propositions scientifiques, une fois émises, doivent être suffisamment résistantes à la critique technique pour sédimenter dans le savoir commun pour être considérées comme admises. Ce n’est qu’une fois que ce status de savoir « consensuel » est atteint que la difficulté de remise en question d’une affirmation scientifique augmente significativement et nécessite un soutient théorique ou expérimental massif. Il est cependant important de garder à l’esprit que ces descriptions n’ont pas de caractère définitif ou figé dans le temps.12La remise en question des descriptions des choses les plus triviales n’est pas impossible. À titre d’exemple, l’explication scientifique de la chute des pommes au sol a pendant longtemps été de considérer des forces de gravitation entre la pomme et la Terre. Aujourd’hui, on parlera de courbures de l’espace-temps causées par la masse de la Terre. Mais le phénomène observé n’a pas changé, contrairement à sa description. Le point important à comprendre est que les mécanismes postulés par l’évopsy et la génétique comportementale, ou plus précisément, les descriptions qu’elles donnent des comportements humains, n’ont pas un statut consensuel, contrairement à ce qu’en disent leurs défenseurs. Et comme vu plus haut, les preuves expérimentales et théoriques sont trop faibles pour que cela soit le cas.

En conclusion la gauche ne nie pas « la biologie », mais certaines interprétations réductionnistes des comportements sociaux, mais surtout marginales sur le plan scientifique.

Vous faites un paralogisme: vous rejetez la psyévo et la génétique comportementales en raison de leur histoire pour des raisons idéologiques. Mais il n’y a plus de racisme dans ces disciplines, c’était il y a longtemps. La récupération par les racistes est extérieure à la recherche.

Ne passons pas par quatre chemins: une partie de la psyévo et de la génétique du comportement sont produites et défendues par des réactionnaires d’extrême-droite, des suprémacistes blancs racistes ou des fascistes. On ne fait pas de paralogisme qui invoquerait l’histoire de la discipline, on parle de la discipline telle qu’elle existe maintenant. Et tant que des gens «  » »sérieux » » » tolèrerons de publier des articles dans des journaux tenus ou qui publie de véritables fascistes dont les positions sont ouvertement connues, comme Emil Kirkegaard, Bo Winegard ou leurs co-auteurs, c’est une discipline qu’on ne pourra pas prendre au sérieux ni sur le plan scientifique, ni sur le plan politique. Le fait même que ces auteurs soient tolérés à publier dans des revues « peer-review » de psyévo ou de génétique comportementale discréditent ces dernières aux yeux de la plupart des autres disciplines tant la qualité de leur production est mauvaise, au point de sortir de ce qu’on peut raisonnablement appeler du travail scientifique.13Au point que les protocoles publiés dans certains journaux tels que Intelligence, Evolutionary psychology ou Personnality and Individual Differences finissent régulièrement moqués pour leur aspect ridicule et leur stupidité manifeste. Dans le meilleurs des cas, certains demandent à des étudiantes si elles préfèrent embrasser des individus avec une bonne ou une mauvaise haleine, dans le pire des cas ils essaient désespérément de montrer une corrélation entre l’intelligence avec la distance d’éjaculation.

Ainsi, Stéphane Debove cite sans sourciller E.O.Wilson et lui a rendu hommage à sa mort alors que sa défense des sciences racistes n’était plus un secret ou, dans la bibliographie de sa vidéo, Franck Ramus, chercheur français qui n’hésite pas à discuter des « données » produites par des racialistes et des sexistes. Ce dernier cite par exemple sur son blog et dans ses conférences grand public les suprémacistes blancs Richard Lynn et David Becker pour parler de la sois-disant « carte des QIs ».14Dans sa conférence à l’AFIS en 2020 il citait les données de Becker en prétendant que ces mesures ont été « bien faites », comme si « on avait standardisé les populations de tous les pays sur les normes britanniques ». L’analyse du travail de Lynn est un peu longue mais il est clair que ce n’est pas le cas et que les données sont pour la plupart inventées ou inutilisables. Les anglophones intéressés en trouveront une critique détaillée dans cette vidéo sur le livre The Bell Curve. La division des données en catégories raciales, dont une intitulée « juif », sur les graphiques du site n’a apparemment pas mis la puce à l’oreille de Franck Ramus qui les utilise dans ses diapositives.. Que Stéphane Debove mette dans ses sources le dossier de l’AFIS sur les différences homme/femmes co-écrit avec Nicolas Gauvrit, qui a défendu le livre raciste The Bell Curve dans ce même journal, montre soit qu’il n’est pas au courant des enjeux et des positions de ses références, soit qu’il se place dans la même ligne, qui n’est pas vraiment de gauche. Sans compter que l’AFIS n’est pas une références scientifique très sérieuse. Par ailleurs quand Stéphane Debove cite Tooby, dont des les recherches sur la naturalisation du viol ont été dégommées depuis longtemps, ou quand il cite Christina Hoff Sommers et Alice Dreger pour parler féminisme, la première étant totalement de droite, proche de l’alt-right, et la seconde défendant des racistes et des transphobes dans ses livres, on se permettra de douter de la vision qu’il donne du militantisme de gauche. Je pense personnellement que Stéphane Debove ne connait autant rien aux militantisme social et se contente de partager les premières sources sur lesquelles il est tombé sur le sujet, des sources de droite qui vont dans son sens. Est-ce qu’il est lui même de droite ou d’extrême-droite? J’en sais rien. Mais soit il n’est pas conscient de ce qu’il raconte et c’est pas sérieux, soit il en est bien conscient et c’est grave.

Sur tous ces points, Stéphane Debove joue des claquettes et répond toujours à coté. Mais bref, si on est plusieurs chercheurs (plutôt de gauche) à rien vouloir avoir à faire avec lui, y a de très fortes raisons scientifiques et militantes.15Et à titre personnel je pourrai aussi citer son comportement de gros rustre avec ses collègues de genre féminin, mais ce n’est pas le sujet de ce billet

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    Dont on pourra consulter la retranscription et les sources sur son site.
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    Les amateurs de fallacies y reconnaitront peut-être une tactique de déplacement des buts (moving the goalposts).
  • 3
    Ne vous sentez pas obligé·e·s de tout lire d’un coup. Gardez- ça sous le coude, allez-y quand vous aurez le temps et l’envie.
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    La thèse en sociologie des sciences de Panofsky portait déjà sur l’origine et l’organisation de la génétique comportementale 10 ans avant la publication de son livre, qui en est donc une version enrichie. Il est aujourd’hui professeur à l’UCLA et travaille notamment sur les discours suprémacistes blancs visant à mélanger la génétique rigoureuse avec des pseudosciences racistes. Il travaille aussi sur l’importance pour les chercheurs de prendre en compte la réception de leurs travaux à ces égards.
  • 5
    Professeur d’histoire de la médecine à la John Hopkins University, spécialiste de l’histoire de la recherche en génomique et ses lien avec l’eugénisme américain.
  • 6
    Généticien et biologiste de l’évolution, post-doctorant à l’université de Californie Davis.
  • 7
    Je vous jure que c’est dans l’article: « Consistent with this interpretation of the adaptive significance of color vision for foraging, memory scores in humans for object locations in a visual array (i.e., a gathering analogue task that typically shows a female advantage) appear enhanced when objects are red on a green background compared to green on red background (Hellige & Cumberland, 2001; Roth & Hellige, 1998) »
  • 8
    Un des directeurs de thèse de Stéphane Debove
  • 9
    En étant charitable sur l’emploi du terme « gauche » et en oubliant ses positions clairement eugénistes.
  • 10
    Ce billet présente d’une part les deux études sur le sujet et d’autre part la manière dont elle ont été récupérées dans les médias et dont leurs résultats ont été extrapolés. Je mentionne surtout ici la première partie.
  • 11
    Sur ces points, je peux recommander aux lecteurs et lectrices intéressé·e·s les lectures de « La Science en Action » de Bruno Latour ou « Personal Knowledge » de Michael Polanyi.
  • 12
    La remise en question des descriptions des choses les plus triviales n’est pas impossible. À titre d’exemple, l’explication scientifique de la chute des pommes au sol a pendant longtemps été de considérer des forces de gravitation entre la pomme et la Terre. Aujourd’hui, on parlera de courbures de l’espace-temps causées par la masse de la Terre. Mais le phénomène observé n’a pas changé, contrairement à sa description.
  • 13
    Au point que les protocoles publiés dans certains journaux tels que Intelligence, Evolutionary psychology ou Personnality and Individual Differences finissent régulièrement moqués pour leur aspect ridicule et leur stupidité manifeste. Dans le meilleurs des cas, certains demandent à des étudiantes si elles préfèrent embrasser des individus avec une bonne ou une mauvaise haleine, dans le pire des cas ils essaient désespérément de montrer une corrélation entre l’intelligence avec la distance d’éjaculation.
  • 14
    Dans sa conférence à l’AFIS en 2020 il citait les données de Becker en prétendant que ces mesures ont été « bien faites », comme si « on avait standardisé les populations de tous les pays sur les normes britanniques ». L’analyse du travail de Lynn est un peu longue mais il est clair que ce n’est pas le cas et que les données sont pour la plupart inventées ou inutilisables. Les anglophones intéressés en trouveront une critique détaillée dans cette vidéo sur le livre The Bell Curve. La division des données en catégories raciales, dont une intitulée « juif », sur les graphiques du site n’a apparemment pas mis la puce à l’oreille de Franck Ramus qui les utilise dans ses diapositives.
  • 15
    Et à titre personnel je pourrai aussi citer son comportement de gros rustre avec ses collègues de genre féminin, mais ce n’est pas le sujet de ce billet
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